EC.1 «Roman d’école» et «Sur la brèche»
Introduction
La présente étude de cas analyse deux projets de médiation dans le domaine de la littérature, tous deux situés dans un contexte scolaire et assez similiaires pour ce qui est de leur public-cible et de leur orientation participative. Si les neuf questions directrices de la présente publication servent de grille d’analyse, elles ne préjugent cependant pas de l’ordre dans lequel se déroule la discussion. Cette dernière se concentre en effet sur les aspects qui semblent fondamentaux pour l’analyse du projet. En ce qui concerne «Schulhausroman» (Roman d’école) et «Auf dem Sprung» (Sur la brèche), l’analyse porte surtout sur le ciblage et l’implication des jeunes ainsi que sur l’agencement concret de la collaboration. → L’étude de cas 2 se concentre en revanche sur la structure des projets et sur la démarche stratégique de ses initiateurs_trices. Les questions abordées ne sont donc pas faciles à délimiter, car elles se recoupent souvent et renvoient à d’autres questions.Roman d’école
Couverture d’un roman d’école
© Provinz GmbH
Sur la brèche
Affiche de l‘exposition
© Archives des cultures jeunes
Discussion
Pourquoi la médiation culturelle? Motivation et objectifs des initiateurs du projet. Quels sont les effets de la médiation culturelle? Fonction du projet de médiation pour l’institution, avec un intérêt particulier pour l’acquisition d’un nouveau public. L’auteur Richard Reich a élaboré le projet → Roman d’école en réponse aux réactions d’élèves à ses lectures. Il voulait initier à la littérature, par une participation active et une approche par la pratique, des élèves considérés comme ayant des «difficultés d’apprentissage», et trouvait la formule des lectures publiques insuffisante pour cet objectif. L’on peut donc classer l’intention initiale du projet comme relevant de la formation du public et de l’acquisition d’un nouveau public et l’attribuer au → discours reproductif. La conception ouverte de la collaboration et de la rencontre avec les auteurs_trices pour la production commune d’une œuvre par un échange mutuel de savoirs confère également au projet des éléments de → déconstruction. Cela vaut aussi bien pour la réception des auteurs par les élèves que pour le champ littéraire lui-même. La langue des adolescent_e_s n’est pas perçue par les auteurs comme déficitaire, mais intégrée dans le processus d’écriture comme un savoir spécifique. Le projet déploie également une fonction déconstructive par rapport à la scène littéraire. Le choix du titre «Roman d’école», la volonté de travailler avec des auteurs_trices renommé_e_s et d’organiser les lectures dans des institutions culturelles reconnues ou des maisons de la littérature, font que le projet ne s’adresse pas aux élèves en tant que lectorat ou futur public des maisons de la littérature. Au contraire, il utilise sciemment leur → statut de partenaires pour prendre les adolescent_e_s au sérieux en tant que jeunes auteurs_trices et donner une visibilité aussi bien à leurs thèmes qu’à leur langue. Le projet se retourne ainsi activement contre les exclusions existantes, transforme le prétendu handicap linguistique des adolescent_e_s en une plus-value littéraire et met en discussion des → positions artistiques (d’auteurs) actuelles. Le projet s’inscrit dans le milieu scolaire et atteint de ce fait aussi des adolescent_e_s étrangers au cadre de la culture bourgeoise. Il se distingue en même temps des → situations formelles d’apprentissage traditionnelles du degré secondaire 1 par les caractéristiques suivantes:- il n’est pas sanctionné par des notes,
- il substitue la → production collective à la performance individuelle,
- son processus est expérimental et ne préjuge pas des résultats,
- les auteurs_trices agissent en tant que mentors (coaches),
- le développement du projet est défini par des décisions prises en partenariat,
- l’expérience de la réussite pour tous est une composante essentielle du projet,
- des caractéristiques définies dans le contexte scolaire comme des faiblesses sont vues comme des points forts, et le «faux» est redéfini en «juste» ou en «particulier»,
- et, pour finir, la possibilité d’un échec est envisagée non dans une perspective individuelle, mais professionnelle (en tant qu’auteurs_trices).
La médiation culturelle pour qui?
Comment et à quel titre les personnes sont-elles invitées à participer au projet, et quel profit celui-ci leur promet-il explicitement? Quelles motivations, quels besoins ou déficits et quelle utilité sont implicitement présupposés chez les participant_e_s? Les deux projets travaillent avec des élèves qui sont perçus comme défavorisés dans leur contexte sociétal. En s’adressant à des adolescent_e_s qui fréquentent le degré secondaire I, le projet «Roman d’école» reconnaît l’inégalité des chances qui règne à l’intérieur du système scolaire et qui est simultanément produite par ce système. Il définit comme principal critère de défavorisation le cadre scolaire et non l’origine des participant_e_s. Il reflète ainsi les liens qui existent entre la participation culturelle et le contexte éducatif 4. La mise en œuvre concrète de la collaboration fait apparaître clairement que tous, élèves comme auteurs_trices, sont vu_e_s comme participant à un → processus d’apprentissage et de développement. Le projet reconnaît ainsi les différences comme des savoirs spécifiques et utilise l’énergie produite par la réflexion active sur la littérature dans le contexte de ces différences pour stimuler le → processus de formation. En obligeant tous les élèves d’une classe à participer, indépendamment de leurs notes et de leur motivation, le projet revendique une approche égalitaire. Mais, du même coup, la participation au projet n’est pas volontaire et produit ainsi sous l’angle pédagogique → une hiérarchie classique entre enseignant_e_s et élèves. Celle-ci est renforcée par le postulat que la → réflexion sur la littérature est fondamentalement utile et digne d’efforts. Cependant, une attitude réflexive face à ce contexte ne recouvre et n’efface pas les tensions entre, d’un côté, l’exigence de faire participer les adolescent_e_s au processus d’écriture et de prendre au sérieux leurs compétences et, de l’autre, le cadre qui doit être créé pour réaliser cette exigence. Au contraire, la nature ouverte du processus, qui inclut aussi la possibilité d’un échec, rend ces tensions productives pour tous les partenaires. Avec la conscience que la littérature – et en particulier la littérature suisse contemporaine – est ignorée par une grande partie de la société, le projet offre la possibilité de remettre en question la signification du travail des auteurs_trices dans le cadre d’une rencontre directe avec un non-lectorat et s’interroge donc activement sur leur rôle. En plus de sensibiliser les adolescent_e_s à la littérature, il a aussi pour objectif de déclencher du côté des auteurs_trices par le processus de collaboration, un processus d’apprentissage, à savoir la prise de conscience de leur attitude privilégiée et de leur faire reconnaître qu’en raison d’interactions complexes, il existe des groupes de population pour lesquels la littérature ne fait pas sens. «Sur la brèche» s’adresse aux participant_e_s en tant qu’adolescent_e_s issus de la migration, en se basant sur l’accent thématique du projet. Le projet renvoie ainsi à un → concept de la culture qui postule que les idées et les perspectives de l’individu sont déterminées en premier lieu par son origine nationale, sa religion et sa langue. Dans cette optique, la culture est traitée comme une constante dominante, qui n’inclut pas d’autres catégories telles que l’éducation, le statut social, les dispositions physiques, le sexe, l’orientation sexuelle, etc. et par conséquent ne les prend pas non plus en compte en tant que facteurs qui s’entremêlent et interagissent. Une telle conception – réductrice – de la culture est involontairement liée à une hiérarchisation. Car même si le projet s’oppose explicitement aux discriminations fondées sur l’origine nationale et qu’il s’inscrit dans le contexte des «bienfaits de la diversité», il reproduit ainsi implicitement des essentialisations et des stigmatisations, car l’origine de la majorité et, de ce fait, sa prétendue culture, restent la norme, qu’il s’agit de distinguer de la diversité. L’autoreprésentation des adolescent_e_s dans le projet en fait inévitablement des représentant_e_s aussi bien de leur groupe d’âge que de leur ethnie ou de leur origine nationale. Les textes et les images produits par les adolescent_e_s rompent cependant en maints endroits avec cette réduction thématique, car il ne s’en tiennent pas à la question des effets ou des influences à attribuer à → l’origine nationale, linguistique ou religieuse, mais déploient un plus large éventail de contenus: de l’expérience de la violence néonazie à la possibilité de voyager presque dans le monde entier, parce qu’il y a partout des membres de leur famille prêts à les accueillir, en passant par les expériences de discrimination et d’appartenance diverses et nuancées, sans oublier leurs phobies ou leurs hobbies. La variété des textes et des sujets produits par les adolescent_e_s met en évidence le fait que l’origine nationale, et avec elle la religion et la langue, ne sont que trois facteurs d’influence parmi beaucoup d’autres, et qu’une considération isolée de ces catégories produit des cloisonnements qui ne rendent absolument pas compte de la complexité des individus et des conditions sociales.Photo: Sarah Charif
© Archives des cultures jeunes
Sarah Charif, photo: Jörg Metzner
© Archives des cultures jeunes
«En fait, à Berlin, les membres de ma famille ne sont malheureusement pas très nombreux. Nous sommes environ 150 à 200 et nous n’habitons même pas à proximité les uns des autres. Certains habitent à Spandau, Wedding, d’autres à Neukölln, Kreuzberg, Schöneberg et à Tempelhof. Nous sommes une immense famille. Je n’ai cité que ceux qui habitent à Berlin.» (Sarah Charif)
Photo: Birkan Düz
© Archives des cultures jeunes
Birkan Düz, photo: Jörg Metzner
© Archives des cultures jeunes
«Je suis né à Berlin et j’ai 16 ans.
Parfois, je suis Allemand.
Parfois, je suis Turc.
Parfois, je suis Kurde.
Parfois, je suis Alévi.
Parfois, je suis Zaza.
Quand je suis en Turquie, je dis aux gens que je suis Allemand.
Quand je suis en Allemagne, les gens me disent que je suis Turc.
Ou bien je dis que je suis Turc.
[...]
Quand je suis seul, je me sens être Birkan.
Quand je suis au milieu d’Allemands, de Turcs, de Kurdes, d’Alévis ou de Zazas, je me sens comme moi-même.
Je suis Birkan.»
(Birkan Düz)
Mais la → diversité des catégories utilisées par les jeunes pour se positionner dans le monde (opposée à une diversité imaginaire, essentialisante, des cultures) ne se retrouve pas dans la présentation du projet par les organisateurs_trices. Ainsi, la possibilité de modifier des présupposés institutionnels grâce à une réflexion active sur le contenu des textes et des photos n’est pas exploitée. Cela renvoie à l’énorme résistance des → attributions culturalisantes.
Un autre aspect de la manière dont le projet s’adresse aux adolescent_e_s est le fait que ceux-ci ont été choisis par leur enseignante. Il n’est pas possible de dégager de la documentation du projet les critères à l’origine de ce choix. Mais cet acte de sélection joue un rôle essentiel, en particulier au regard de la fonction qu’a le projet pour les élèves. La sélection peut en effet être une récompense pour les élèves et représenter pour le reste de la classe une exclusion de plus, renforçant ainsi les inégalités à l’intérieur de l’école, mais elle peut aussi, à l’inverse, impliquer dans le projet les élèves jugés «difficiles» (voir paragraphe Omissions).
Les deux projets ont en commun de vouloir permettre aux participant_e_s de faire l’expérience de la réussite et de leur offrir une plateforme publique. En impliquant fortement les adolescent_e_s dans des processus de décision portant sur l’esthétique et les contenus et en leur permettant de travailler en partenariat, les deux projets parviennent à produire une → identification des jeunes, sensible au moins sur le plan de la représentation. Dans les deux projets, les adolescent_e_s sont vus comme ayant une personnalité d’auteur_trice, et ils ont la possibilité de se présenter consciemment comme tels. Cependant, il est intéressant de constater que cette possibilité est réalisée de façon bien plus égalitaire, et de ce fait plus radicale, dans le projet «Roman d’école», pourtant axé sur la culture dominante, que dans le projet «Sur la brèche», positionné dans le contexte socioculturel, où les participant_e_s sont choisis à l’issue d’un processus de sélection.
Parfois, je suis Allemand.
Parfois, je suis Turc.
Parfois, je suis Kurde.
Parfois, je suis Alévi.
Parfois, je suis Zaza.
Quand je suis en Turquie, je dis aux gens que je suis Allemand.
Quand je suis en Allemagne, les gens me disent que je suis Turc.
Ou bien je dis que je suis Turc.
[...]
Quand je suis seul, je me sens être Birkan.
Quand je suis au milieu d’Allemands, de Turcs, de Kurdes, d’Alévis ou de Zazas, je me sens comme moi-même.
Je suis Birkan.»
(Birkan Düz)
Qui fait la médiation culturelle?
→ Focus: médiateurs_trices:leurs rôles, intentions, exigences et compétences Pour «Roman d’école», seul_e_s des → auteurs_trices professionnel_le_s sont invité_e_s à travailler avec les élèves. Ils et elles jouent un rôle de mentors et expert_e_s dans leur domaine, la littérature. Le choix d’auteurs_trices qui ont du succès sur le marché confère à ce rôle une crédibilité et une importance supplémentaires (même s’il est remis en question par les participant_e_s). Ceux-ci influent de façon déterminante sur le déroulement et le développement linguistique et artistique du projet, ainsi que sur la réception de ce dernier dans le champ littéraire 5. Les initiateurs_trices du projet eux-mêmes attribuent aux auteurs_trices une fonction-clé dans le projet et définissent par ce biais l’une des principales différences par rapport à la situation formelle d’enseignement et d’apprentissage à l’école, qu’ils situent dans la possibilité d’un échec: «Les coaches en écriture (les écrivain_e_s) qui rencontrent les classes hétérogènes ne sont ni des enseignant_e_s, ni des chercheurs_euses en sciences sociales travaillant selon des normes de qualité définies. Autrement dit, ils et elles développent une manière de procéder très individuelle et ne créent nullement une situation de laboratoire qui serait neutre et pourrait être répétée dans toute autre classe dans des conditions comparables. Chaque roman d’école est donc une expérience en soi, avec une issue incertaine – et la possibilité d’un échec.»6 Dans le projet «Sur la brèche», le rôle de l’auteur_trice est moins lié à leur statut sur le marché. Les auteurs_trices n’agissent pas non plus en premier lieu en tant que représentant_e_s de leur métier. Certes,l’auteur_trice et le photographe ont réalisé des publications dans leur domaine, mais ils travaillent aussi depuis de nombreuses années en tant que médiateurs_trices dans des projets à l’interface entre art et société, surtout dans des institutions indépendantes que l’on peut situer dans le champ → socioculturel. Ils ne représentent donc pas le groupe professionnel des artistes ou le marché de l’art en tant que tel, mais agissent au sein du projet avant tout en tant que médiateurs_trices au bénéfice d’une expertise en matière artistique. Dans le même temps, ce positionnement montre clairement que «Sur la brèche» ne vise pas une participation active à la littérature ou à la photographie contemporaines, mais utilise l’écriture et la photographie en tant → qu’outils de découverte et de représentation de soi-même et du monde.Qui fait la médiation culturelle?
→ Focus Financement Quels sont les effets de l’ampleur, de l’origine et de la répartition du financement sur le projet? Le projet «Roman d’école» est réalisé par → Provinz GmbH, une petite entreprise créée par l’initiateur et l’initiatrice, Richard Reich et Gerda Wurzenberger, et axée sur l’écriture et la publication. Il est financé en collaboration avec plusieurs partenaires: la maison de la littérature Museumsgesellschaft, le Service des écoles de la Ville de Zurich, la → Ernst Göhner Stiftung et la → Fondation Mercator Suisse financent le projet en Suisse 7. De plus, Pro Helvetia soutient depuis 2010 l’extension du projet aux écoles de Suisse romande. Les motivations des instances de soutien peuvent en partie être déduites de la présentation du projet sur leurs pages web. Alors que les initiateurs_trices du projet formulent leurs intentions de façon très réfléchie et parlent par exemple d’élèves «considérés comme» ayant des problèmes d’apprentissage, les partenaires du projet ou les instances qui le soutiennent financièrement ne le présentent pas toujours de façon aussi nuancée. La Fondation Mercator, par exemple, décrit ainsi le projet sur son site Internet: «Des jeunes issus de milieux peu instruits écrivent des histoires. Des élèves ayant des difficultés d’apprentissage et d’expression écrivent des romans […]. Dans un domaine caractérisé d’habitude par des défaites et la peur d’échouer, les jeunes font l’expérience du succès. Leur confiance en eux-mêmes est renforcée, tout comme leur capacité d’expression.»8 Cette description focalisée sur les prétendus déficits annihile le véritable potentiel du projet, qui vise précisément à modifier ce genre de catégories dominantes de description et d’attribution de qualités et de déficits. Il apparaît clairement que l’image donnée du projet peut différer du tout au tout en fonction du degré de réflexion existant en lien avec ces catégories. Là aussi se manifeste la résistance des narrations dominantes, qui souvent reproduisent les exclusions et les stigmatisations à l’endroit même où les projets veulent agir contre ces dernières. Ce constat s’applique aussi aux adaptations faites dans d’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Autriche 9. La formulation choisie par le → site Internet de Wuppertal est particulièrement drastique à cet égard: «Les élèves devraient avoir entre 12 et 16 ans, donc un âge particulièrement difficile.» […] «Surtout dans les classes passerelles entre la scolarité primaire et le secondaire I et avec les enfants dits «à problèmes», des résultats surprenants ont été obtenus.» «Sur la brèche» a été financé par le programme fédéral allemand «Les bienfaits de la diversité. La jeunesse pour la diversité, la tolérance et la démocratie» 10 par le Ministère fédéral de la famille des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse, par la Déléguée à l’Intégration du Sénat berlinois et par le Centre fédéral pour l’éducation politique. La motivation des instances de subventionnement s’inscrit dans les discours sur l’intégration allemands, qui préconisent une participation accrue des migrant_e_s dans le contexte social, culturel et politique. 11 Dans ce contexte, la → médiation culturelle est conçue comme une pratique qui soutient ces initiatives.Qu’est-ce qui est mis en médiation?
Et comment se fait la médiation culturelle? A quels niveaux et dans quelle mesure les participants sont-ils impliqués dans le projet?Préparation de l’exposition, © Archives des cultures jeunes Dans le projet «Roman d’école», les adolescent_e_s élaborent, en collaboration avec les auteurs_trices, leurs propres textes, sur lesquels ils et elles mènent une réflexion dans le contexte de la classe et qu’ils remanient ensemble. La forme de l’écriture collective est un élément essentiel du projet et consiste à rassembler dans un tout commun des passages écrits individuellement. Des échanges ont lieu à différents niveaux, aussi bien entre les élèves à propos de leurs propres textes qu’avec les auteurs_trices. Les rôles des auteurs_trices et des élèves sont définis hiérarchiquement dans le cadre du projet, mais semblent néanmoins permettre un échange de savoirs mutuel: grâce au degré élevé de participation des élèves à la production des textes, leur langue, habituellement jugée comme déficitaire dans le contexte scolaire, est reconnue, appréciée et intégrée au processus 12. Les auteurs_trices soutiennent l’élaboration du roman et se livrent avec la classe à une réflexion sur la crédibilité des protagonistes, des lieux et de l’intrigue, ainsi que sur des questions stylistiques. Les décisions qui ont trait à la continuation de l’histoire sont prises collectivement par les élèves, tandis que le regroupe¬ment des passages en un texte est en général effectué par les auteurs_trices, qui en discutent avec la classe. Pour le travail commun sur les textes en dehors des leçons, tous les participants peuvent recourir au portail du site Internet. L’approche adoptée dans le projet «Sur la brèche» est également → participative. Les histoires personnelles des adolescent_e_s constituent le cadre du travail en commun. Les médias utilisés, la littérature et la photographie, servent de moyens d’expression et d’instruments d’accès à leur propre univers de vie. A la différence du projet «Roman d’école», ils sont utilisés individuellement. Les artistes soutiennent et assistent les adolescent_e_s. Comme pour «Roman d’école», la réflexion porte sur le développement linguistique et la → qualité littéraire des textes. Dans le travail photographique, les jeunes sont initiés au maniement de la caméra et aux bases de la composition de l’image. Les données disponibles ne permettent pas de dire dans quelle mesure une → réflexion critique sur l’utilisation de certains matériaux iconographiques et sur leurs implications a eu lieu.
Une médiation culturelle de qualité?
De la réflexivité, concernant par exemple- les attributions de qualités ou de défauts aux destinataires
- le contexte et les discussions dans lesquelles le projet s’inscrit
- l’élaboration de savoirs qui confèrent une autorité artistique
- le caractère privilégié des institutions culturelles et de leurs acteurs
- la forme et le choix de la représentation (présentation des résultats du projet, documentation, attitude à l’égard des participants)
- Comment les résultats produits par le projet se sont-ils réalisés?
- Qui a produit quoi et à quel niveau?
- A quel langage esthétique les produits recourent-ils?
- Quel rapport les résultats du projet ont-ils avec ses objectifs?
Documentation
Qui publie quoi sur le projet, où et de quelle manière?Capture d’écran du site web «Roman d’école», novembre 2012 La réflexivité du projet «Roman d’école» se manifeste aussi au niveau de l’auto-représentation. Un → agencement cohérent de tous les médias utilisés dans le cadre du projet, le choix des lieux de lecture (surtout des maisons de la littérature), la présentation sur le site Internet, l’accompagnement et la publication des textes en ligne, les formulations, les fonctions et les chemins d’accès au site ainsi que la publication des cahiers témoignent d’un souci de professionnalisme sensible à tous les niveaux du projet. Le site Internet avec ses trois accès: «Accès élèves», «Accès tous», «Accès enseignants», rend visibles au niveau de la représentation que l’on s’adresse à différents publics-cibles et reflète la langue en marquant les différences au niveau linguistique. Cette manière de procéder donne également aux élèves un espace d’échange protégé pendant la durée du projet. L’esthétique du site Internet et des romans eux-mêmes évite, par son design objectif et minimal, d’imiter servile-ment les formes de la «culture jeune» et donne une impression de sérieux. Les élèves participent à la mise en forme en choisissant pour leur roman l’illustration de couverture, qui s’insère dans un cadre donné. La présentation du projet «Sur la brèche» s’est faite surtout dans une exposition qui a été montrée de mai à septembre 2009 des les locaux des Archives des cultures jeunes. Les travaux des jeunes et les adolescent_e_s eux-mêmes ont été présentés par les médias suivants:
- textes et photos des adolescent_e_s
- photographies des adolescent_e_s prises par le photographe Jörg Metzner
- film documentaire sur le projet
- recueils de textes (sans photos)
- fanzine13 réalisé dans le cadre d’un atelier
- affiche et prospectus
Lecture des textes, © Archives des cultures jeunes La documentation à elle seule ne permet pas de dire dans quelle mesure les adolescent_e_s ont pris part à la conception de l’exposition et au choix des textes et des images. Mais les entretiens avec les initiateurs_trices du projet (responsable du projet, autrice) en donnent une idée, qui est discutée dans le paragraphe Omissions. La forme de communication et l’organisation formelle des résultats correspondent aux préjugés esthétiques généralement formulés à l’égard des projets artistiques à orientation sociale. Le manque de professionnalisme suggéré par l’utilisation de → moyens de communication qui ne sont pas en phase avec les dernières tendances du monde culturel poussent à postuler un manque de qualité du projet lui-même, bien que ce ne soit pas toujours justifié. Outre la mise en évidence d’un manque de qualité sur le plan formel, la critique porte surtout sur le manque de cohérence dans la présentation d’ensemble des jeunes. Alors que le film documentaire est à saluer, tant pour son contenu que pour sa qualité, car il montre une attitude respectueuse à l’égard des jeunes et qu’il cite par leur nom tous les élèves qui ont participé, l’on est frappé de constater dans le recueil de textes que seuls les auteur, autrice et photographe professionnels sont présentés par une brève biographie dans l’annexe, alors que les élèves qui ont participé y brillent par leur absence. De plus, en ne reprenant aucune photo, le recueil ne permet pas d’établir un lien entre textes et images, faisant ainsi l’impasse sur un aspect essentiel du projet. Sur le plan esthétique, le recueil a en outre l’aspect d’un travail de fin d’études et ne produit donc aucune relation entre forme et contenu. A l’occasion d’un entretien téléphonique, le responsable du projet Klaus Komatz justifie cette décision par le «caractère privé des textes» écrits par les jeunes 14. A la différence du fanzine et aussi du film, le recueil de textes publié contient des textes très intimes et très privés. Selon Komatz, c’est aussi pour protéger l’intimité des jeunes que l’on a choisi de ne pas nommer les auteurs de certaines photos. Mais ce choix constitue une rupture dans la manière de traiter les jeunes en tant qu’auteurs_trices. Après tout, leur nom figure bien en regard des textes. L’autrice Anja Tuckermann justifie cette forme d’omission par le fait que le recueil de textes était surtout un média destiné aux jeunes eux-mêmes et non pas tant à une présentation à l’extérieur. Les brèves biographies de l’autrice, de l’auteur et du photographe devaient, d’après Tuckermann, donner aux jeunes des informations sur les responsables du projet, car durant le projet, les jeunes ne leur avaient pas posé de question et ne savaient donc rien sur eux. Cette justification soulève à son tour des questions sur l’échange d’informations durant le processus de réalisation. Alors que les jeunes révélaient des choses très personnelles, les responsables du projet restaient muets sur eux-mêmes. Dans quelle mesure peut-on, lorsque les différences en matière d’information sont telles, parler d’une collaboration participative et d’un partenariat?
Vue de l‘exposition «Sur la brèche», © Archives des cultures jeunes Le fanzine, réalisé par les jeunes dans le cadre d’un autre atelier sous la direction d’un collaborateur des Archives, contient le nom des élèves, ainsi que des textes et des images. On ne peut donc pas conclure à une cohérence dans la manière de citer les jeunes dans l’ensemble du projet; les différentes manières de faire ainsi que les raisons invoquées invitent plutôt à conclure que l’on n’a guère réfléchi à la question de la mise en → représentation du projet. C’est ce qui ressort aussi d’une manifestation organisée dans le contexte de l’exposition: une soirée de discussion sur le thème «Cultures jeunes islamiques et islamistes», dont le site Internet des Archives des cultures jeunes rend compte comme suit: «Parmi les jeunes musulmans d’Allemagne se sont développés de nouveaux styles de vie hybrides, qui se basent de différentes manières sur l’islam. Tandis que certaines manifestations de ces cultures jeunes sont plutôt traditionnelles et religieuses ou se présentent avec une provocation qui est typique de l’adolescence, d’autres attitudes et styles de vie assument des traits islamistes et donc extrémistes. Mais comment y voir clair dans cette multitude de conceptions, de musiques, de prêches, de styles vestimentaires et de symboles? Comment une religion séculaire est-elle «réemballée» pour avoir l’air cool et adaptée aux jeunes?» Ces questions ont été abordées avec 85 personnes intéressées dans le contexte de l’exposition. S’appuyant sur de nombreux exemples, Ibrahim Gülnar (→ Fondation SPI Ostkreuz) et Nadine Heymann ont présenté et mis en discussion les modèles de vie et les orientations des jeunes musulmans d’Allemagne 15. Les jeunes eux-mêmes n’ont pas eu voix au chapitre dans cette manifestation d’expert_e_s et restaient ainsi confinés dans le rôle d’objets d’exposition, tolérés un instant dans un espace hégémonique à des fins d’autoprésentation du projet, pour autant qu’ils se tiennent à cette autoprésentation dont les règles ne sont pas remises en question. Cela montre une fois de plus que le projet n’a pas reconnu son propre potentiel en termes de participation, de visibilité, de co-construction et de codécision à différents niveaux, et que, de ce fait, il ne pouvait pas non plus l’exploiter. Dans «Sur la brèche», qui consistait surtout pour les jeunes à se représenter eux-mêmes, auteurs et œuvre se confondent pour ainsi dire en une seule entité. Les textes des «Romans d’école» renvoient certainement aussi aux interrogations et aux univers de vie des adolescent_e_s; cependant, ils ne le font pas directement, mais, comme c’est généralement le cas chez les auteurs_trices, à travers les protagonistes de leur œuvre.
Contexte local et historique
Dans quelles discussions et contextes locaux faut-il inscrire le projet? A quelle pratique de la médiation artistique et culturelle faut-il rattacher le projet? En ce qui concerne «Sur la brèche», étant donné son rattachement aux Archives des cultures jeunes, on le placera dans le contexte socioculturel. La mouvance socioculturelle désigne une position culturelle qui s’est développée dans les années 1970 contre la marginalisation des arts dans la société. D’après Hermann Glaser 17, qui a forgé ce terme, toute culture devrait être une de nature socioculturelle. L’art devrait agir plus près du quotidien et des interrogations de la société, et moins se référer à lui-même. Une politique culturelle ainsi conçue était comprise comme une politique sociale. Même si l’on revendique aujourd’hui un rapprochement entre le domaine socioculturel et la culture dominante, il s’agit essentiellement, malgré les influences réciproques, de deux mondes souvent complètement détachés l’un de l’autre pour ce qui est des acteurs et des institutions. Sous l’angle hiérarchique, le domaine socioculturel est en outre subordonné à la culture dominante, et il est de ce fait souvent associé dans le champ artistique au travail social et pédagogique. «Sur la brèche» agit de ce fait dans un autre contexte que «Roman d’école». Le fait que le lieu d’exposition et les acteurs impliqués – aussi bien les artistes que les initiateurs_trices du projet – se situent dans le champ socioculturel rend le projet invisible dans le contexte artistique. Alors que les deux projets agissent sur le plan de l’intégration des groupes marginalisés ou défavorisés et s’opposent aux → exclusions existantes, ils se situent dans des systèmes de signification différents. Bien que «Roman d’école» s’inscrive aussi dans le débat sur la manière dont le système éducatif désavantage certains élèves et ne se contente pas d’aborder le thème, mais le met activement en jeu dans le cadre du projet, le projet vise surtout à sensibiliser les jeunes à la littérature et à favoriser des expériences d’écriture positives. Ce faisant, il reconnaît la valeur déficitaire de la littérature auprès de ses lecteurs_trices et tente d’y remédier par une approche de médiation artistique. «Sur la brèche», en revanche, s’inscrit explicitement dans le débat sur l’intégration et la migration et voit dans l’art un moyen de donner une visibilité à de jeunes migrant_e_s dans un contexte bienveillant, dominé par des personnes issues de la majorité, et utilise cette réflexion en vue de permettre à un groupe d’adolescent_e_s choisis une expérience d’eux-mêmes qui les renforce.Omissions
Quelles questions sur le projet la documentation laisse-t-elle sans réponses, alors qu’elles paraissent importantes pour son évaluation? L’examen des deux projets soulève des questions auxquelles leur documentation ne répond pas. En revanche, ces questions donnent des informations sur la réflexivité des initiateurs_trices des projets en renvoyant à leurs omissions. La documentation sur le projet «Sur la brèche» a soulevé des questions qui n’ont pu être éclaircies que dans des entretiens téléphoniques avec le responsable du projet, Klaus Komatz des Archives des cultures jeunes et avec l’autrice Anja Tuckermann.Sur la brèche: lancement du projet
Selon quels critères l’enseignante a-t-elle sélectionné les adolescent_e_s? Anja Tuckermann et Klaus Komatz confirment que l’enseignante a procédé au choix des élèves selon un point de vue individuel. L’origine nationale était certes l’un des principaux critères, mais l’enseignante l’a délibérément contourné: deux des douze adolescent_e_s sélectionnés étaient en effet allemands. Les résultats scolaires des élèves n’étaient déterminants pour la sélection, mais des raisons comme la motivation ou l’impression qu’une participation leur ferait particulièrement du bien. Ces raisons ne rendent pas le processus de sélection moins problématique, car elles lui confèrent une dimension pastorale et disciplinaire en mettant en avant l’impression peu claire d’un comportement social à récompenser ou l’hypothèse d’un dénuement chez les participant_e_s. Par rapport à la sélection des adolescent_e_s migrant_e_s, le responsable du projet et l’autrice se distancient nettement, au téléphone, d’attributions réductrices. Klaus Komatz, responsable du projet «Adolescents migrants & culture jeune» des Archives pour les cultures jeunes, affirme que le projet a montré que les adolescent_e_s, en fin de compte, étaient tous des Berlinois_e_s et qu’ils et elles étaient concerné_e_s par les mêmes thèmes que les autres adolescent_e_s. Il ne s’agissait donc pas pour les Archives de «faire étalage d’exotisme», un exotisme qui était parfois totalement absent 18. De son côté, Anja Tuckermann insiste sur la reconnaissance de l’inégalité des chances et sur le fait que les adolescent_e_s migrant_e_s ont la vie beaucoup plus dure que ceux qui appartiennent à la société majoritaire. Ce discours, qui ne s’est exprimé que lors de deux entretiens téléphoniques directement suscités par le travail sur le projet, est resté totalement invisible dans la représentation du projet vers l’extérieur 19. Par ailleurs, aucun document ne mentionne explicitement qu’il ne s’agit pas uniquement de jeunes issus de la migration. Une transparence en la matière aurait abouti, dans le contexte institutionnel des «bienfaits de la diversité», à un regard nettement plus nuancé et non-harmonisant sur la thématique de → l’intégration. Le projet aurait pu déployer son potentiel à travers ces écarts, notamment en intégrant les adolescent_e_s dans le débat sur ces questions.Réalisation
Combien de temps a duré la collaboration? Le projet donne l’impression d’une collaboration à relativement long terme. Il n’est mentionné nulle part que l’atelier d’écriture et de photographie n’a duré qu’une semaine. Ce fait relativise singulièrement le projet, car se pose la question de la cohérence entre le processus et son résultat. Dans quelle mesure est-il adéquat de traduire un travail pratique de cinq jours dans le domaine de la littérature et de la photographie en une exposition itinérante qui aura un écho dans les médias? Il est vrai qu’aux dires de l’autrice, les élèves se sont aussi régulièrement retrouvés pour les lectures publiques, l’atelier fanzine et l’exposition, mais le travail effectif qui a été présenté sous les différentes formes (lectures, exposition, publications) a été réalisé en l’espace d’une semaine.Transparence
Comment l’objectif du projet a-t-il été communiqué aux participant_e_s? Les adolescent_e_s savaient-ils dans quel contexte leur travail s’inscrivait? Les participant_e_s n’ont pas été confrontés à l’objectif du projet ni à ceux de l’instance qui le soutenait, mais uniquement sensibilisés à l’acte d’écrire et de prendre des photographies. Aux yeux d’Anja Tuckermann, cette attitude a surtout été la conséquence de sa propre distanciation par rapport à l’initiative de l’instance qui a porté le projet. Mais cette omission dans le contexte du projet a empêché une réflexion sur les questions soulevées par cette distanciation. Selon Klaus Komatz, les adolescent_e_s étaient au courant du contexte du projet qui, après tout, leur avait «été communiqué dans toutes les publications (site Internet, prospectus, etc.)». Mais il n’a pas été possible de déterminer de façon définitive si les adolescent_e_s avaient été suffisamment bien informés en amont du projet.Degré de participation
Dans quelle mesure les adolescent_e_s ont-ils et elles été impliqué_e_s dans la conception et la mise en place de l’exposition? Dans quelle mesure ont-ils eu leur mot à dire dans le choix des photos et des textes reproduits dans les différents médias? Si au départ, le responsable du projet n’était pas au clair sur la question de l’implication des adolescent_e_s, ces derniers ont finalement été associés à la mise en place de l’exposition, «même si cela n’a pas été facile». Cette affirmation contredit celle d’Anja Tuckermann, selon laquelle la conception de l’exposition était de son ressort ainsi que de celui de ses collègues artistes. Tuckermann souligne cependant que le travail avec les adolescent_e_s a influé sur la mise en scène de l’exposition, et qu’ils y ont donc participé indirectement. Selon elle, le choix des photographies a également été opéré par le photographe Jörg Metzner. Le motif invoqué pour ne pas associer les adolescent_e_s à cette mission était la difficulté qu’elle représente pour qui n’a pas d’expérience en la matière. Ces propos sont en nette contradiction avec l’approche du projet en ceci qu’ils mettent hors-jeu son approche participative à l’endroit décisif de la co-construction de l’autoreprésentation et de la représentation et le font ainsi retomber dans une structure hiérarchique traditionnelle. Les omissions décrites se concentrent ainsi sur deux niveaux:- intérêts divergents des instances de subventionnement, des responsables du projet, de l’institution et des participant_e_s; et, par conséquent
- manque de transparence en ce qui concerne les participant_e_s, les objectifs et le degré de participation.
Roman d’école
Bien que très complète, la restitution du projet «Roman d’école» laisse elle aussi certaines questions sans réponses. Des entretiens avec les initiateurs_trices du projet ont donc également été menés, et ils permettent de faire des observations qui dépassent la restitution. D’autres entretiens, réalisés avec d’anciens participant_e_s, permettent également d’élargir la perspective sur le projet. Comment le processus d’écriture s’organise-t-il concrètement? La forme générale du travail sur place n’est pas claire. Des heures consacrées à l’enseignement sont-elles libérées pour le projet? Y a-t-il des retombées du projet dans l’enseignement? Comment la collaboration s’organise-t-elle concrètement? Que se passe-t-il en cas de conflit durant le travail collectif? Dans quelle mesure les décisions dans le processus collectif de travail ne sont-elles finalement pas dictées par les bons élèves? Les enseignant_e_s ne participent pas directement au processus, mais restent en étroit contact avec les auteurs_trices. Cela est particulièrement important pour les acteurs_trices impliqués lorsque viennent au jour, à travers le processus d’écriture, des expériences de violence ou d’autres détails personnels qui nécessitent d’autres types d’intervention. Les auteurs_trices disposent du pouvoir de décision dans le cadre du projet et déterminent le cours et l’évolution du projet. L’écriture elle-même n’est pas le fait exclusif des élèves, mais est plutôt issue des récits faits oralement en classe, que les auteurs recomposent en un texte qui sera lu en commun lors de la séance suivante. Tous les élèves participent à ce processus. Ils poursuivent l’élaboration de leurs protagonistes en petits groupes. Selon quels critères les élèves qui lisent les textes dans des institutions littéraires sont-ils sélectionnés?Lecture d’un roman d’école, Maison de la littérature de Zurich, photo: Iren Stehli, © Provinz GmbH A la différence du processus d’écriture, auquel participent tous les élèves, la présentation du projet ne permet pas de déduire quels élèves participent aux lectures publiques dans des maisons de la littérature ou des institutions culturelles. Selon le témoignage d’anciens élèves 20, seuls quelques participant_e_s prennent part à ces lectures. La raison invoquée est que plusieurs romans sont lus lors d’une lecture, et donc que plusieurs écoles sont représentées simultanément. Ici se pose la question des critères de sélection des lecteurs_trices. Les entretiens avec d’ancien_ne_s participant_e_s ne permettent pas de déduire ces critères de sélection. Certains supposent qu’il fallait se porter volontaire et faire preuve de confiance en soi. Les omissions pour le projet «Roman d’école» sont les suivantes:
- absence de documentation concernant les processus de médiation mis en œuvre en classe et des méthodes utilisées,
- manque de transparence concernant la participation des élèves durant les différentes phases du projet.
Conclusions
La discussion des deux projets fait apparaître les champs de tensions qui apparaissent à divers niveaux d’un travail de médiation→ pparticipatif et sont aussi importants pour les contextes extra-scolaires. La question centrale est de savoir qui retire quel bénéfice de la collaboration. Cela vaut en particulier pour les projets qui travaillent avec des groupes marginalisés. Car plus le décalage entre le «savoir» et le «pouvoir» des personnes impliquées est important, plus le risque d’une → instrumentalisation au profit des institutions ou des initiateurs_trices du projet est grand. Afin de transformer et non de reproduire les exclusions structurelles existantes, il est par conséquent indispensable d’analyser les intérêts des différentes parties-prenantes.Documentation
La documentation qui a permis de classer et d’évaluer les projets comprenait les éléments suivants: Schulhausroman/Roman d’école- restitution sur le → site Internet
- livres sonores et cahiers publiés avec les textes des élèves
- entretiens avec les initiateurs du projet Richard Reich et Gerda Wurzenberger
- échange de courriels avec Richard Reich
- entretiens avec d’anciens participant_e_s
- «Freitag der 13. und andere Zwischenfälle» (Vendredi 13 et autres incidents)
- «FNM – Freier Nachmittag» (AML – Après-midi de libre)
Auf dem Sprung/Sur la brèche
- exposition «Auf dem Sprung»
- restitution sur le → site Internet
- textes et photos des adolescent_e_s
- film documentaire sur le projet, sur DVD
- fanzine
- articles dans les médias
- entretiens téléphoniques avec Klaus Komatz, responsable du projet «Migrantenjugendliche & Jugendkulturen» / « adolescents migrants & cultures jeunes» de l’Archiv der Jugendkulturen / Archives des cultures jeunes, et avec l’autrice Anja Tuckermann, qui a dirigé l’atelier d’écriture en compagnie de son collègue Guntram Weber.
- → Spiegel online, Schulspiegel
1 → http://www.culture-on-the-road.de/index.php?option=com_content&view=article&id=233&Itemid=106 [1.5.2010]
2 «Le groupe de travail interdisciplinaire ‹Bildkulturen› applique le questionnement de la théorie des images à la diversité des cultures qui sous-tendent la diversité des images. Il étudie les cultures visuelles dans leur représentation de l’espace et de la perspective sous l’angle de leur unicité et de leur prétention à l’universalité. La recherche du groupe de travail vise à identifier en détail aussi bien la particularité de chaque culture visuelle par rapport aux autres que leur universalité, qui pourrait être l’expression d’une culture visuelle planétaire.» → http://www.culture-on-the-road.de/index.php?option=com_content&view=article&id=253%3Aauf-dem-sprung&catid=1&Itemid=106 [1.5.2010], ici traduit de l’original allemand.
3 → http://www.Jugendkulturen.de [20.10.2012].
4 Les rapports entre le contexte éducatif et les préférences culturelles ont été étudiés en profondeur dans: Bourdieu 1982 et Bourdieu, Passeron 1990.
5 Pour le statut du projet, il est donc essentiel que les auteurs_trices travaillent avant tout en tant qu’écrivain_e_s professionnel_le_s et ne soient pas prioritairement actifs dans le contexte de la médiation.
6 → http://www.schulhausroman.de [19.5.2010].
7 La Fondation Ernst Goehner est une fondation d’utilité publique issue de la succession d’un entrepreneur, qui finance des projets culturels et sociaux. La Fondation Mercator Suisse, fondée par une famille d’entrepreneurs allemands, lance entre autres des projets «visant de meilleures possibilités de formation dans les écoles et les hautes écoles» et soutient des projets «incitant à l’échange de savoir et de culture dans un esprit de tolérance» (→ http://www.stiftung-mercator.ch [20.8.2012]. Voir aussi les textes 6.4. et 6.7. de la présente publication).
8 → http://www.stiftung-mercator.ch/projekte/kinder-und-jugendliche/schulhausroman.html, [12.5.2010].
9 → http://www.schulhausroman.de [20.10.2012], → http://www.schulhausroman.at [20.10.2012].
10 «Afin de lutter durablement contre l’extrémisme de droite, la xénophobie et l’antisémitisme et de renforcer le travail d’éducation politique et pédagogique, le Ministère fédéral de la famille, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse a lancé le 1er janvier 2007, le programme fédéral ‹Vielfalt tut gut. Jugend für Vielfalt, Toleranz und Demokratie› (Les bienfaits de la diversité. La jeunesse pour la diversité, la tolérance et la démocratie), pour lequel des fonds fédéraux ont été mis à disposition à hauteur de 19 millions d’euros.» → http://www.vielfalt-tut-gut.de [12.5.2010], ici traduit de l’original allemand.
11 Les directives de promotion des instances de financement impliquées se trouvent sur leurs sites web respectifs: le programme fédéral «Vielfalt tut gut»: → http://www.vielfalt-tut-gut.de/content/index_ger.html [12.5.2010]; Beauftragte des Senats für Integration (Déléguée à l’intégration du Sénat berlinois): → http://www.berlin.de/lb/intmig/aufgaben; Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend (Ministère fédéral de la famille, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse): → http://www.bmfsfj.de [18.11.2012]; Bundeszentrale für politische Bildung (Centre fédéral pour l’éducation politique): → http://www.bpb.de [18.11.2012]
12 Pour pouvoir en juger de façon définitive, il faudrait que des observations formulées par les participant-e_s soient intégrées au projet.
13 Un zine ou fanzine est une forme de magazine issue du mouvement punk, réalisée par des fans pour les fans d’une scène donnée. Les fanzines sont souvent faits à la main et consistent en collages qui sont ensuite photocopiés. L’Archiv des cultures jeunes dispose de l’une des plus grandes collections de fanzines de l’espace germanophone.
14 Entretien téléphonique entre Klaus Komatz et Anna Chrusciel, 19 mai 2010.
15 «La fondation «Sozialpädagogisches Institut Walter May» (SPI) a pour but le bien des travailleurs_euses et entend contribuer à l’avènement d’une société dans laquelle chaque individu puisse s’épanouir librement de façon responsable vis-à-vis de soi-même et d’autrui. Pour ce faire, la fondation SPI s’oriente en priorité sur les univers de vie des citoyens concernés et vise plus particulièrement dans son travail social à aider les individus à se prendre en charge eux-mêmes.» → http://www.stiftung-spi.de [20.12.2012], ici traduit de l’original allemand.«‹Ostkreuz› est le nom de l’équipe mobile de consultation de la fondation SPI Berlin pour le développement de la démocratie, des droits de l’homme et de l’intégration. Depuis sa création en 2001, les objectifs essentiels de cette équipe sont l’organisation de la cohabitation sociale dans la ville d’immigration pluraliste qu’est Berlin, ainsi que la réflexion active sur les idéologies et les campagnes qui prétendent que les individus sont inégaux et n’ont pas la même valeur suivant le groupe dont ils font partie.» → stiftung-spi.de/ostkreuz/ [20.12.2012], ici traduit de l’original allemand.
16 → http://culture-on-the-road.blogspot.com/2009/05/workshop-islamische-und-islamistische.html [20.10.2012].
17 Hermann Glaser, spécialiste allemand des sciences de la communication, journaliste et professeur, a étudié en profondeur l’histoire culturelle allemande.
18 Propos de Klaus Komatz à l’occasion d’un entretien téléphonique avec Anna Chrusciel, le 19 mai 2010.
19 Spiegel online et Zeit online ont rendu compte du projet et publié des photos et des extraits des textes, mais en restant au niveau des attributions et des visions réductrices déterminées par l’appartenance ethnique et nationale. → http://www.zeit.de/online/2009/18/bg-aufdemsprung; → http://www.spiegel.de/schulspiegel/leben/0,1518,621642,00.html.
20 Entretiens menés en octobre 2011 avec d’ancien_ne_s élèves de l’école d’Erzbachtal, Erlinsbach.