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EC.2 «Printemps des Poètes» et «Morley Literature Festival»

Introduction

La présente étude de cas a pour sujet deux festivals de littérature qui se ressemblent dans leur format et leurs objectifs, à savoir sensibiliser le plus grand nombre possible de personnes à la littérature. Les deux festivals sont caractéristiques de nombreux projets de diversification des publics réalisés dans d’autres disciplines. Prenant pour point de départ les neuf questions de la publication, notre réflexion compare ces projets et examine leurs stratégies de ciblage ainsi que les formes de collaboration avec divers groupes d’intérêts. Les neuf questions ne sont abordées ni dans l’ordre de la publication, ni avec le même degré d’analyse. L’étude se concentre plutôt sur les questions qui permettent de réfléchir aux stratégies et aux concepts de médiation auxquels les initiateurs_trices de ces festivals recourent.

Le Printemps des Poètes, France


Affiche «Printemps des
poètes» 2013
 Le Printemps des Poètes est un festival français qui a lieu chaque année en mars depuis 1999 et qui regroupe aujourd’hui jusqu’à 8000 manifestations placées sous le signe de la poésie. Le festival est organisé par l’association du même nom, active toute l’année à différents niveaux pour renforcer la position de la poésie en France. Les activités de l’association se concentrent sur la diffusion d’informations relatives à la poésie par la constitution de réseaux, une activité de conseil auprès des principaux acteurs et le soutien à la réalisation de projets et d’actions. L’association fait avant tout office de catalyseur pour la mise en œuvre de projets dans différents contextes: école, ville, bibliothèques et espace public. Le site Internet fonctionne autant comme moyen de communication sur les activités du «Printemps des Poètes» que comme canal de diffusion de documents sur la poésie, raison pour laquelle les organisateurs le définissent comme un «Centre national de ressources pour la poésie». Outre des dossiers sur la poésie, des propositions de lecture et l’annonce de manifestations, le site met à disposition les bases de données suivantes:

Festival de littérature de Morley, Angleterre


© Morley Literature Festival

Le  Festival de littérature de Morley est l’un des nombreux  festivals de littérature qui se déroulent en Angleterre. Il a lieu chaque année depuis 2005 en octobre à Morley, un arrondissement du sud de Leeds, et dure une à deux semaines. Contrairement au «Printemps des Poètes», il n’est pas voué à un thème ou à un genre littéraire spécifique mais, selon ses organisateurs, «célèbre le livre, la lecture et l’écriture» 1. Le festival rassemble dans son programme des présentations de livres, des lectures d’auteur, des ateliers d’écriture ainsi que des activités musicales et familiales. Il sert aussi au lancement de projets et de collaborations.

Discussion

Qui fait la médiation culturelle? Qui a créé le festival, et avec quel objectif? La médiation culturelle: pourquoi? Comment le festival se légitime t-t-il?

Le «Printemps des Poètes» part de la même idée que la  Fête de la Musique. Il a été lancé par  Jack Lang, l’un des fondateurs de la Fête de la Musique, ainsi que par Emmanuel Hoog et André Velter. Ces trois personnalités étaient actives aussi bien dans le domaine de la politique culturelle que dans celui de la production culturelle. Emmanuel Hoog travaillait depuis 1988 pour le ministère de la Culture ; il a également été directeur de théâtre et conseiller du gouvernement en matière de culture et de médias. Avant d’être nommé en 2011 président de l’Agence France-­Presse (AFP), Hoog a dirigé l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), établissement public chargé notamment d’archiver les productions audiovisuelles et multimédia. Jack Lang a lui aussi travaillé pendant des années pour différents ministères (Culture et Communication ainsi qu’Education), et a été un proche conseiller de François Mitterrand, lequel, après avoir remporté les élections en 1981, l’a nommé ministre de‚ la Culture. André Velter, pour sa part, est un poète français qui fait notamment des expériences de chanson improvisée et de «poésie polyphonique». En collaboration avec la chaîne de radio France Culture, il a lancé entre autres  Poésie sur Parole, manifestation régulière qui conjugue poésie contemporaine et danse, instrumentalisation ou exécution et présente ainsi la poésie comme un «média performatif, actif et oral». Les initiateurs_trices du festival étaient donc des hommes_femmes politiques ou des acteurs_actrices culturel_e_s influent_e_s, qui l’ont inscrit d’emblée dans un cadre de politique culturelle et ont conféré au projet un statut élevé dans le paysage culturel. Depuis 2001, Le « Printemps des Poètes » est dirigé par le poète, romancier, dramaturge et critique  Jean-Pierre Siméon, qui a longtemps enseigné à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Clermont-Ferrand et qui est l’auteur de nombreux recueils de poésie et de pièces de théâtre, ainsi que de romans et de livres pour la jeunesse.2 Il a lui aussi été actif sur le plan de la politique culturelle, en tant que conseiller du ministère de l’Education nationale pour l’art et la culture. Il a donc une riche expérience  en politique culturelle, en politique de l’éducation et en création littéraire. Le «Printemps des Poètes» suit une logique ancrée dans la politique française de la culture et de l’éducation au moins depuis que Siméon le dirige. Partant, il est soutenu aussi bien par le  Ministère de la Culture et de la Communication, le  Centre national du Livre et le  Ministère de l’Education que par le  conseil régional Île-de-France, et il s’inscrit ainsi dans les discours correspondants. Actuellement en France, le débat politique sur l’éducation est marqué par une nouvelle conception de l’école ( Refondons l’École de la République3), qui vise une transformation progressive de la pratique actuelle de l’enseignement et de l’apprentissage à quatre points de vue: «la réussite scolaire pour tous», «les élèves au cœur de la refondation», «des personnels formés» et «principes». La médiation culturelle s’inscrit donc dans «une éducation culturelle, artistique et scientifique pour tous» en tant que méthode pour instaurer «l’école du futur»4. L’éducation culturelle est présentée comme une pratique qui améliore la  performance individuelle et qui participe d’une école «qui encourage, qui valorise les réussites, qui contribue à l’estime de soi»5 et qui, en fin de compte, doit aussi contribuer à l’égalité des chances. L’orientation actuelle de la politique culturelle française mise elle aussi, pour la période législative 2012–2014, sur la «démocratisation culturelle»: elle entend encourager l’accès aux œuvres artistiques et aux pratiques artistiques et culturelles et soutenir la reconnaissance d’une multiplicité de formes d’expression artistique. L’orientation actuelle souligne le rôle de l’éducation publique et l’influence positive qu’elle exerce sur les contextes locaux et l’évolution de la société, tout en renvoyant au droit fondamental à l’éducation ainsi qu’à la  loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions. Cette approche procède, d’une part, d’une légitimation de l’art et de la culture par  l’effet positif qu’on leur attribue sur l’évolution de la société et de la politique de l’éducation<; elle s’inscrit, d’autre part, dans le  débat sur l’inclusion. Ce débat, guidé par des principes éthiques et par un souci de démocratisation sous le signe d’une société plus juste, dénonce le fait que de larges pans de la société sont exclus de l’éducation, de la culture et de la politique. En ce sens, la médiation culturelle ou l’éducation culturelle doit aider les groupes jusqu’ici exclus à participer à des processus sociétaux, et en particulier à l’art et à la culture de la société majoritaire. Mais l’idée de l’inclusion par la création d’offres destinées aux publics jusque-là exclus néglige le fait que ce sont les conditions régnantes qui ont conduit à ces exclusions.6

Le «Festival de littérature de Morley» est dirigé par la  musicienne et créatrice indépendante Jenny Harris, qui a travaillé en tant que déléguée à la musique pour le Leeds City Council: à ce titre, elle a lancé entre autres le festival de musique contemporaine  FuseLeeds Festival. Elle a participé à l’élaboration  imove, programme culturel 2012 pour le Yorkshire et de «the hub», une association d’opérateurs_trices culturel_e_s et de personnes actives dans l’économie créative, qui a également lancé le festival  Phrased & Confused alliant littérature et musique. Suivant son intérêt déclaré pour les «pratiques artistiques inclusives», Harris coordonne aussi le programme du réseau éducatif de la ville de Leeds «Arts & Disability». Elle est donc structurellement liée aux objectifs de la ville en matière de politique de l’éducation et de la culture.

Le «Festival de littérature de Morley» est soutenu par différentes instances de subvention. La ville de Leeds finance une partie du programme dans le cadre de  Leeds Inspired, projet créé à l’occasion des Jeux olympiques de 2012 pour encourager l’art, le sport et les manifestations culturelles et mettre en place à Leeds une offre culturelle variée. L’un des objectifs de ce programme, selon la présentation publiée sur son site, est d’intégrer des projets communautaires et «do it yourself» en plus des grands événements annuels. Il tente ainsi d’inclure dans la logique du subventionnement des pratiques telles que le «do it yourself», plutôt associées aux milieux de l’activisme politique. Le «Festival de littérature de Morley» est soutenu en outre par le  Arts Council England l’arrondissement de  Morley, et le comté du  Yorkshire ainsi que par quelques entreprises, dont un  centre commercial, la chaîne de  librairies Blackwell et la presse locale. Dans ses structures de financement, le projet s’appuie donc sur des  partenariats public-privé (PPP), forme d’encouragement très largement diffusée en Angleterre sous le gouvernement «New Labour» de Tony Blair et de plus en plus pratiquée dans l’espace germanophone depuis le tournant du siècle.

Le but poursuivi par cette forme de financement mixte est de compenser l’épuisement des caisses publiques par la participation d’investisseurs privés. En contrepartie, ces investisseurs ont leur mot à dire dans les projets qu’ils co-financent. Il s’agit le plus souvent de la construction d’écoles, de routes, ou du financement de musées et de projets culturels. Cette approche encore relativement peu répandue gagne aussi en importance en Suisse7. Les critiques formulées à l’égard du PPP portent surtout sur l’influence accrue de bailleurs de fonds privés sur les décisions politiques, et donc sur le risque que les investissements publics suivent de plus en plus une logique de marché. Une autre critique formulée est que cette forme de financement n’allège que brièvement les finances publiques. Par une redistribution des investissements sur des partenariats de plusieurs années, la participation des pouvoirs publics prend surtout la forme de loyers versés aux investisseurs sur une période préalablement convenue. En fin de compte, ce modèle de financement est à l’avantage des investisseurs du point de vue économique également et ne représente pas d’économies réelles à long terme8. Dans le cas du festival de Morley, il n’est pas possible de discerner de quelle manière le choix des activités et la conception du festival sont influencés par les bailleurs de fonds privés. Mais on observe une programmation fortement axée sur le marché du livre et les  intérêts supposés des destinataires. Ainsi, le choix des auteurs_trices invité_e_s et du parrain du festival semble lui aussi fondé sur leur valeur de marché. Le parrain du festival est Gervase Phinn, un auteur de best-sellers qui a notamment écrit de nombreux livres pour la jeunesse9. Phinn enseigne la littérature dans plusieurs universités anglaises et a été de 2006 à 2012 président de  l’Association des bibliothèques scolaires (School Library Association). Au nombre de ses publications spécialisées comptent des textes comme «Young readers and their books, Suggestions and Strategies for Using Texts in the Literacy Hour» 10, où Phinn s’engage pour de nouvelles formes de médiation de la littérature à l’école. Phinn agit donc à la fois comme icône publicitaire pour le festival, promettant un grand intérêt du public, et comme représentant de la médiation littéraire. En adoptant la forme du festival, concentrant ainsi les ressources sur une période donnée, les deux manifestations littéraires s’inscrivent dans le courant de la «festivalisation»11. Si le «Printemps des Poètes» vise à attirer de la sorte l’attention du public sur les activités que l’association mène tout au long de l’année et se sert du festival en tant  qu’outil de marketing, «Morley» agit davantage dans l’esprit d’un marketing local, afin de renforcer l’attractivité du lieu et d’impliquer la population locale.

Comment se fait la médiation culturelle?

Plus particulièrement en lien avec la collaboration avec l’école.

En accord avec l’orientation politique actuelle, le «Printemps des Poètes» souligne le caractère complémentaire de l’éducation culturelle à l’école et recommande sa prise en compte dans le plan d’études. Il vise un déplacement structurel dans la médiation de la poésie et s’oppose explicitement aux modèles et  méthodes actuels de transmission de la  poésie à l’école, qui se concentrent sur la  récitation de poèmes et sur l’analyse de leur forme et de leur contenu. Le «Printemps des Poètes» renvoie ainsi à la  fonction réformative que la médiation culturelle exerce sur le système scolaire, mais ignore l’influence que l’école pourrait exercer en retour sur la médiation culturelle. Au lieu de quoi, il recommande de pousser davantage les élèves à  expérimenter eux-mêmes et à travailler en mode «projet» en tant qu’alternative à la  transmission de jalons de l’histoire des arts telle qu’elle se pratique la plupart du temps12. L’attention vouée à l’exercice pratique dans un cadre formatif est largement promue, en accord avec les théories pédagogiques actuelles. Elle promet une plus grande implication des élèves, un libre épanouissement et donc une plus grande réussite scolaire. Mais elle conduit aussi à négliger la diversité des conditions dont sont issus les élèves et à renforcer ainsi les inégalités existantes. Nous discutons en détail au les contradictions dans le  texte 4.PF qui en résultent.

Le «Printemps des Poètes» n’agit pas directement, en instaurant par exemple des collaborations entre artistes ou médiateurs_trices culturel_e_s et écoles, mais il remplit une fonction de médiateur entre les divers acteurs_trices et offre une plateforme de réseautage en mettant à la disposition des utilisateurs_trices informations, contacts et possibilités de formation continue. L’association a élaboré en outre un système d’incitation en vue d’amener les acteurs de ce champ culturel à développer leurs propres activités de médiation et de diffusion de la poésie. Le «Printemps des Poètes» mise pour cela sur la constitution de structures et l’intégration à long terme d’activités littéraires dans le quotidien scolaire. Il le fait non en proposant des offres concrètes aux écoles, comme le festival de Morley, mais surtout au moyen d’un système incitatif, le label  École en Poésie mis en œuvre en collaboration avec l’Office central pour la coopération à l’école ( OCCE). Pour obtenir le label «Ecole en Poésie», les écoles doivent réaliser des projets concrétisant au moins cinq des quinze orientations regroupées en deux catégories. A l’enseigne de «La poésie au cœur de la classe», les activités proposées comprennent l’organisation de mani­festations dans le cadre du «Printemps des Poètes» ou la mise en route d’une correspondance avec un_e poète, ou encore la mise en valeur de la poésie étrangère en favorisant la lecture en langue originale ou la traduction. Les activités de l’autre catégorie, intitulée «La poésie rayonne dans l’école», ont pour but de favoriser la visibilité de la poésie à l’école, par exemple en donnant des noms de poètes aux salles de classe ou en publiant au moins un article lié à la poésie dans le journal de l’école. En contrepartie, les écoles obtiennent un soutien particulier pour la réalisation de leurs activités, sous forme de prestations de conseils et de formations continues pour les enseignant_e_s, ainsi que pour leur communication via les sites du «Printemps des Poètes» et de l’OCCE. Le label n’est pas lié à une subvention. De manière analogue, l’association distingue aussi des villes ou des villages entiers en leur décernant le label «Village en poésie» ou «Ville en poésie». Là aussi, une charte regroupe  quinze critères d’attribution du label, les communes devant, selon leur taille, en remplir trois à cinq. En 2012, treize villages et neuf villes ont obtenu ce label. Celui-ci peut-être utilisé par la commune pour son marketing, dans lequel le  facteur culturel et l’économie créative jouent un rôle de plus en plus important. La culture en tant qu’élément d’attractivité a acquis depuis longtemps une dimension économique, qui non seulement augmente l’attrait de la région pour le tourisme mais aussi, indirectement, produit des effets en termes d’économie et d’implantation d’entreprises13. Le label promet aux villes et aux villages une communication privilégiée sur leurs activités dans le cadre du festival en mars, et par là-même une visibilité accrue en tant que région culturellement engagée. De plus, ce type de label produit des effets positifs au niveau des subventions. Avec sa programmation, le «festival de Morley» vise aussi les écoles. En 2009, par exemple, la collaboration d’auteurs_trices avec toutes les écoles de Morley a été encouragée, en tant qu’extension du festival, par  Find your talent. Programme suprarégional anglais financé par l’Arts Council, «Find your talent» avait pour but d’impliquer davantage les élèves dans la production culturelle à différents niveaux. Ils et elles ne devaient pas être traité_e_s en tant que destinataires de messages culturels, comme c’est le cas habituellement, mais enrichis d’un savoir qui leur permette d’intervenir dans la  programmation et la production d’offres culturelles. Les élèves devaient aussi, dans ce cadre, entrer en contact le plus régulièrement possible avec divers genres artistiques par le biais de projets, d’ateliers et d’autres offres afin de découvrir leurs propres talents, comme le nom même du programme l’indique. La notion même de  talent, fondée sur des valeurs bourgeoises, n’était pas remise en question. «Find your talent» subventionnait, pour le festival de Morley, la collaboration entre les écoles locales et les auteurs_trices invités. Dans l’esprit d’une  recherche-action, quinze écoles locales ont ainsi collaboré avec des auteurs_trices. L’objectif visé était d’élaborer en commun avec les élèves et les enseignant_e_s des possibilités de mieux intégrer la littérature dans l’école. De manière analogue au «Printemps des Poètes», l’on visait ici une démarche interdisciplinaire permettant d’intégrer la poésie même dans l’enseignement des mathématiques, par exemple. Selon les propos de la directrice du festival, Jenny Harris, ce projet, même s’il n’est pas restitué textuellement ou iconographiquement sur les sites Internet en lien avec la manifestation, a permis de nouer des contacts personnels et durables avec les écoles locales14.

Avec la participation d’une bibliothécaire, les élèves ont été associés à l’élaboration  d’offres littéraires destinées aux bibliothèques . Mais les résultats de cette collaboration ne sont documentés ni sur le site Internet du festival, ni sur celui de «Find your talent». Selon Jenny Harris, cette collaboration a servi à mettre en place dans les bibliothèques, de concert avec l’initiative «Reader Development», des journées littéraires censées renforcer l’attrait des bibliothèques de Leeds, et de Morley en particulier, dans un but de promotion de la lecture.

Dans les deux cas de figure, des élèves ont été intégrés en tant que partenaires à la conception d’offres littéraires. Leurs savoirs ont été reconnus comme pertinents pour le développement de la médiation littéraire, ce qui renvoie à une  conception co-constructiviste de l’enseignement et de l’apprentissage et à une  fonction transformative en ce qui concerne l’offre proposée par les institutions partenaires. En raison de l’absence de restitution, il n’est cependant pas possible de commenter les résultats de ces collaborations (voir Omissions). Cette année, l’offre destinée aux écoles s’inscrit à nouveau dans un répertoire plutôt   reproductif. D’une part, de grandes manifestations avec des auteurs_trices ont été organisées en plusieurs endroits à Morley, notamment une lecture à la salle poly­valente, à laquelle plus de 500 élèves ont assisté16. D’autre part, les écoles pouvaient demander à des auteurs_trices d’animer des ateliers. Cela est dû surtout aux  coupes dans le budget de la culture consécutives au changement de gouvernement en 2010, qui ont affecté aussi les ressources dévolues au programme «Find your talent».

En résumé, ces exemples de collaboration avec les écoles révèlent une différence fondamentale dans la démarche de ces deux festivals. Tandis que Morley influence le contenu des différentes initiatives, le «Printemps des Poètes» propose une plateforme qui donne des pistes pour le développement de contenus, sans toutefois prendre la responsabilité de la mise en œuvre et de la qualité des activités proposées. «Le printemps des Poètes» réagit par son programme au fait qu’en France, seul 1% du lectorat lit régulièrement de la poésie17. Il se concentre ainsi de plus en plus sur le développement de réseaux et de campagnes de communication ainsi que sur la conception de formations initiales et continues pour un public spécialisé qui s’intéresse à la poésie (enseignant_e_s, bibliothécaires, organisateurs_trices et également poètes amateurs_trices), contrairement à Morley, qui inscrit fortement ses activités dans le tissu local.

Comment se fait la médiation culturelle?

Quels formats et méthodes sont appliqués dans le cadre du festival? Et qu’est-ce que transmet la médiation culturelle?

Le «Printemps des Poètes» définit chaque année un thème principal qui chapeaute les différentes actions. L’éventail des dernières années comprend des thèmes ouverts, comme «Poésie et chanson» en 2001 ou «L’espoir» en 2004, et associe depuis 2007 thèmes et poètes, par exemple avec «Lettera Amorosa, le poème d’amour» en hommage à René Char18. Dans ce contexte, des travaux thématiques sont également commandés à des auteurs_trices. Ainsi, le «Printemps des Poètes» suit lui aussi une double stratégie: afin de  changer l’image de la poésie, de la positionner et de la faire vivre comme un genre artistique contemporain, autonome, l’organisation entend à la fois renforcer les conditions de production des auteurs_trices contemporain_e_s et tenter d’améliorer la  réception de la poésie. Cependant, une nette hiérarchisation de la médiation par rapport à la production artistique se manifeste dans ces deux approches. Les tensions qui en résultent sont discutées en détail dans le  texte 1.PF. En témoignent les démarches pluridisciplinaires adoptées par le «Printemps des Poètes». En 2011, l’association a lancé de concert avec la ville de Bezons un festival de courts métrages, «Ciné Poème», qui selon Jean-Pierre Siméon, directeur artistique du «Printemps des Poètes», devait attirer un public plus large en unissant cinéma et poésie19.


Affiche du festival de courts
métrages «Ciné Poème» 2013
© Printemps des Poètes
Les films présentés dans le cadre de ce festival sont inspirés par un poème, consacrés à un_e poète, ou «donnés à lire comme un poème», et se caractérisent par leur densité, leur intensité et «une écriture filmique fondée sur l’art de la suggestion», pour reprendre la formulation des critères de sélection. L’appel à candidature s’adresse ainsi à des cinéastes considéré_e_s d’une part comme des producteurs_trices, mais d’autre part aussi comme des  destinataires, puisqu’ils et elles sont appelé_e_s à s’occuper de poésie. Par ailleurs, ces activités débouchent sur des projets de médiation. Ainsi, la médiathèque de Bezons a lancé dans le contexte du festival une collaboration avec un centre de jeunesse, dont est sorti un film d’animation servant de bande-annonce au festival. Cette bande-annonce n’est cependant visible ni sur le site Internet du «Printemps des Poètes», ni sur celui du festival de courts métrages, mais uniquement sur le site de la  médiathèque de Bezons, en lien avec le festival.

Trailer Ciné Poème

En s’abstenant de mentionner le projet, le «Printemps des Poètes» montre qu’il ne lui attache qu’une  importance secondaire. Cela se manifeste aussi dans le lien avec la musique, que les organisateurs_trices considèrent également comme une possibilité d’atteindre d’autres catégories d’intéressé_e_s. Mais, là encore, ils et elles mettent l’accent sur la production en lançant un  concours du poème chanté et un  concours de composition musicale. Le «Printemps des Poètes» ne mentionne pas non plus la médiation culturelle au nombre des missions auxquelles il affirme se dédier: «informer, conseiller, former, accompagner des projets, mettre en relation, promouvoir le travail des auteurs vivants, des éditeurs, des artistes»20.

En concentrant ses activités sur la diffusion de la littérature dans différents contextes, le festival renvoie à une  conception de la médiation qui implique que la rencontre avec l’art a déjà en elle-même une dimension médiatrice. L’hypothèse principale qui fonde son programme est donc que la connaissance et le contact personnel avec la poésie conduiront forcément à une meilleure réception de ce genre. En conséquence, les activités du festival visent concrètement  à élargir le lectorat de la poésie, sans remettre en question les pratiques et la forme de la poésie contemporaine. Sa faible réception est attribuée au manque de connaissances des destinataires ou des médiateurs_trices, lacune que le «Printemps des Poètes» vise à combler par des mesures appropriées (formation continue et systèmes d’incitation). Il oublie ainsi de considérer sous l’angle des activités de médiation culturelle la poésie elle-même ainsi que son statut marginal au sein de la société, par exemple en réfléchissant aux raisons d’une si faible réception de ce genre littéraire.

Qu’est-ce que transmet de la médiation et pour qui?

Sur quel objet le festival concentre-t-il sa médiation et à qui s’adresse-t-il par ses activités?

Dans son programme, Morley met l’accent sur la collaboration avec des auteurs_trices à succès, comme par exemple Barbara Taylor Bradford ou l’auteur de science-fiction Ian Banks 21, qui lui servent de référence pour sa promotion. En se concentrant sur des auteurs à succès, le programme du festival et sa communication s’inscrivent dans un  discours affirmatif par rapport au marché du livre et agissent davantage dans  l’esprit du marketing. Selon Harris, cette démarche s’explique par les conditions financières générales du festival. Avec un budget d’environ 30 000 livres sterling, celui-ci est un petit festival misant fortement sur  l’engagement bénévole de ses collaborateurs_trices, ce qui a des répercussions sur les possibilités de programmation. Son statut relativement modeste et sa situation géographique sans grand attrait ne laissent d’autre légitimation au festival que sa fréquentation. Le but visé, selon Harris, est de proposer avec le festival une offre culturelle de grande qualité à la population locale et de continuer à développer le festival. La population locale est en majorité issue de la classe  ouvrière et doit régulièrement faire face à des problèmes d’image. Un changement se dessine actuellement avec l’arrivée de minorités ethniques, d’artistes et d’étudiants. Réfléchir en commun avec la population à l’évolution du quartier dans sa dimension historique tout en tenant compte des mutations actuelles est, selon Harris, un objectif essentiel du festival.

La  vaste palette des activités du «festival de Morley» et les offres de médiation culturelle proposées, allant des lectures publiques aux interventions artistiques dans l’espace urbain en passant par des ateliers d’écriture créative, ne permettent guère de se faire une idée précise des critères de sélection22.


Capture d’écran du site web «Morley Literature Festival», novembre 2012
L’éventail des thèmes va des visites guidées de la ville à une soirée de «folk song» en passant par un déjeuner littéraire avec Tim Ewart, journaliste spécialiste de la maison royale. On ne discerne pas de lien thématique entre les lectures publiques ou dans le choix des auteurs_trices invité_e_s. En revanche, les ateliers et les projets portent avant tout sur le lieu même de Morley, ce qui confirme les explications fournies par la directrice du festival (cf. plus haut). Pour le reste, le festival semble miser sur le principe «quelque chose pour chacun», la programmation se basant sur les intérêts supposés de  publics-cible prédéfinis. C’est ce que suggère aussi le classement des manifestations sur le site Internet du festival en fonction des catégories «Rencontre avec les auteurs», «Atelier» ou «Discussion» ainsi que celui des publics-cible («Familles») ou des disciplines («Musique», «Art» ou «Sport»), ce qui permet au public de choisir rapidement en fonction de ses intérêts et correspond à une stratégie de communication visant des groupes-cibles conformes aux définitions courantes.

Qui fait la médiation culturelle? Qui met en œuvre les activités de médiation? Avec qui collabore-t-on au sein des projets? Comment la médiation est-elle pratiquée? Les approches et les méthodes qui sous-tendent l’activité de médiation sont discutées au moyen d’exemples concrets tirés du festival. Quel effet a la médiation? Dans quel discours sur la médiation ces activités s’inscrivent-elles?

En 2012, les interventions artistiques du «Festival de Morley»ont été soutenues par Leeds inspired (cf. plus haut) sous le titre  Playful (Ludique) , thème principal défini pour cette année. Par un appel public à candidatures, le festival s’est adressé aux artistes avec l’intention de «réaliser des projets artistiques transdisciplinaires impliquant les publics locaux de manière imaginative et inattendue». Sur le plan thématique, les actions devaient se référer à l’histoire ou aux histoires de Morley («Fact or Fiction?»). A partir de «Feral-Nowledge», travail commandé à  Paul Rooney, un artiste travaillant sur le texte en combinant son et image, qui associait entre eux moments réels et fictifs de l’histoire de Morley, il s’agissait de promouvoir quatre travaux d’envergure plus modeste d’artistes visuels vivant à Leeds. Les artistes étaient invités à élaborer des plaques de rue pour la zone piétonne de Morley en se référant au thème Réalité/Fiction. Les riverain_e_s devaient retrouver ces plaques et les inscrire sur une carte routière. Ces travaux étaient rémunérés à raison de 200 livres sterling, 200 autres livres étant à la disposition des artistes pour les frais de matériel. Au vu des conditions de base étroitement définies et d’un contexte dans lequel les artistes devaient s’intégrer, ce budget paraît insuffisant pour trouver et réaliser des idées. D’après l’Arts Council England, les artistes et les  opérateurs_trices culturel_le_s devraient être payé_e_s au moins 175 livres la journée. Avec 200 livres pour l’idée et sa réalisation, le tarif journalier est vraisemblablement bien inférieur au minimum visé. Les responsables du festival semblent avant tout considérer que l’intégration d’artistes visuels dans un festival de littérature représente un atout «rendant possibles des rencontres innovantes et inattendues», pour reprendre les termes de leur appel à candidatures 23. Cependant, ils n’ont mis ni les moyens ni les locaux nécessaires à l’activité artistique à leur disposition. Cinq artistes locaux24 n’en ont pas moins participé à ce concours et ont développé, sous le titre  Signs of the Times, des plaques de rue et des panneaux de signalisation pour l’espace urbain. Sachant combien les conditions de production se sont aggravées pour les artistes en Angleterre, une telle stratégie semble miser sur la valeur symbolique de la participation au festival pour compenser la modestie de la rémunération. Cela concorde avec la manière dont le  travail bénévole est traité dans le secteur culturel et ses  économies qui le sous-tendent.


© Poetry Takeaway

Le festival intègre également des projets de médiation indépendants dans sa programmation. En 2011, le programme du Festival de Morley incluait le projet  Poetry Takeaway, qui reprenait l’idée de la restauration à emporter et la transposait à la littérature. Sur le plan esthétique aussi, le projet s’inspirait d’une fourgonnette de vente de hamburgers et fonctionnait à partir d’une roulotte de chantier, sur les places publiques ou dans le cadre du festival. Le groupe, formé de plusieurs auteurs_trices, offrait aux passant_e_s la possibilité de commander un poème à la demande. Le projet s’inscrivait ainsi implicitement en faux contre l’image tant répandue de l’écriture poétique comme une activité contemplative menée pour l’essentiel à l’écart de tous. Au lieu de quoi, il soumettait délibérément l’acte créatif à la pression du temps, le poème devant être livré en moins de dix minutes. Sur le plan du langage également, la façon dont les acteurs du Poetry Takeway se présentaient eux-mêmes s’apparentait au monde culinaire, les auteurs_trices se définissant comme des «Poetry Chefs» et remettant aux clients leurs poèmes dans une boîte ou emballé comme un hamburger. Le groupe jouait ainsi avec la tendance croissante à traiter l’art comme une prestation de service. En concrétisant de façon performative l’acte de «commander, produire et livrer de l’art», il critiquait aussi les conditions de production dominantes, tout en les appliquant de façon caricaturale, mais positive, à ses propres activités:

 How it works:

1. Queue up to speak to one of our fully trained Poetry Chefs.
2. You’ll be allocated to a Poetry Chef, who’ll discuss your order with you in order to ascertain its style and content etc. No knowledge of poetry is required – a few details about you, what you’re up to, what you like and what you’re into, will suffice. Alternatively, if you want a poem similar in style to your favourite by [insert not too obscure poet], our dedicated Poetry Chefs can successfully operate from your instruction.
3. Your Poetry Chef will retire to the kitchen to cook up your bespoke order, leaving you free to soak up the atmosphere.
4. Within ten minutes or less, you’ll be greeted by your Poetry Chef who’ll perform your poem to you. And hand you a written copy, either open or wrapped in our beautifully-designed takeaway boxes.»

La  fonction déconstructiviste du projet se manifeste aussi dans la formulation des activités, qui est complètement détachée de tout lien avec la littérature et qui rend visibles, en les appliquant à un nouveau contexte, les mécanismes de la production de l’art. L’écriture poétique est ainsi davantage présentée comme un artisanat, ce qui enlève un peu de son lustre au mythe de l’auteur.

Le festival français «Printemps des Poètes» intègre lui aussi des activités de médiation pour des groupes ou des médiateurs_trices indépendant_e_s. Une sélection de projets, d’expositions de poésie, de festivals, de groupes et d’acteurs de la scène poétique sont présentés et mis en réseau sous le label  Sélection Printemps des Poètes. Présenté dans le cadre de cette sélection, le projet  Poèmaton semble de prime abord agir de façon analogue au «Poetry Takeaway».


Poèmaton, © Isabelle Paquet

Il s’agit d’un photomaton transformé qui invite les passant_e_s à entrer et à écouter un poème après avoir glissé des sous dans l’appareil. Au lieu d’une photo, l’usager reçoit à la fin une impression du poème et des informations sur son auteur_trice. A la différence du Poetry Takeaway, qui permet de rencontrer directement les auteurs_trices et agit dans le sens d’une déconstruction de la poésie et de ses attributs, le Poématon met en scène la réception de la poésie en un lieu inattendu et reste dans la  transmission de l’œuvre, contrairement au «Poetry Takeaway» qui s’inscrit dans le  discours reproductif.

Au-delà de son programme, le «Festival de Morley» intègre aussi des partenariats à long terme. Ainsi, le projet «Home is where the art is» a démarré en 2011 en collaboration avec le «Picture Lending Scheme» de la Leeds Art Gallery. Le  Picture Lending Scheme est une sorte de bibliothèque de l’art qui s’est ouverte en 1961 pour permettre à la population de nouer un contact direct avec des œuvres d’art originales, en les emportant dans leur propre appartement ou leur propre maison. Par le biais de son blog, le festival a cherché six ménages de Morley disposés à emprunter des œuvres de la Leeds Art Gallery et à participer au projet. La condition était de se laisser photographier chez eux, avec l’œuvre choisie, par le photo­graphe Paul Floyd Blake et de s’entretenir avec le poète Andrew MacMillan sur les raisons du choix, ce dernier s’en servant pour composer un poème. Photographies et poèmes ont été exposés pour la durée du festival à la Leeds Art Gallery. En guise de remerciement, les participant_e_s ont été invité_e_s au «vernissage VIP» de l’exposition, comme le dit le  blog du festival.


Capture d’écran de «Home is where the Art is»; poème: Andrew McMillan, photo: Paul Floyd Blake

L’appel aux participant_e_s se servait ainsi des mécanismes d’exclusion régnant dans le milieu de l’art comme d’un système incitatif en accordant aux participant_e_s certains privilèges pour une durée limitée. Il est à supposer que les ménages qui ont souhaité participer au projet étaient en mesure de reconnaître le capital symboliquequi y était lié et d’en tirer parti. Dans sa conception, le projet reprenait ainsi les mécanismes d’exclusion à l’œuvre dans le milieu de l’art pour les retourner implicitement contre les intentions du «Lending Art Scheme», qui était de permettre la rencontre avec les œuvres à un public aussi hétérogène que possible. Ces mécanismes ont encore été renforcés par la possibilité, offerte par le projet sous le titre «Tea with the curator», d’inviter chez soi un des commissaires d’exposition de la Leeds Art Gallery pour discuter avec lui de l’œuvre empruntée. Cette conception recèle un potentiel de réflexion sur le contexte historique des œuvres empruntées et d’interrogation de l’institution et de la stratégie d’acquisition à la base de sa collection, ainsi que des représentations de l’art dans l’espace privé. Dans sa réalisation concrète, cependant, le projet mise sur la rencontre ponctuelle entre artistes, commissaires et public-cible. La confrontation se limite à une séance photo et à un récit qui sert de point de départ pour un poème.

Le  traitement artistique reste le fait des artistes participant au projet, et il n’y a pas non plus d’échanges sur les processus artistiques. Les habitant_e_s sont certes impliqués, mais ils restent confinés à leur rôle de récepteurs_trices et deviennent donc pour le festival des représentant_e_s des usagers de la culture. En s’adressant à un public déjà intéressé et en confirmant les logiques régnant dans le système, le projet ne peut utiliser son potentiel de déconstruction, mais reste dans le  adiscours affirmatif. Même la réflexion sur les  mécanismes de représentation des acteurs_trices de l’art dans la photographie ou la littérature reste absente. Les photographies renvoient sur le plan formel aux représentations de collectionneurs_euses posant devant leurs œuvres. Elles confirment en outre l’hypothèse selon laquelle les ménages en question sont surtout des membres de la société dominante aisée. Les  résultats du projet – photographies et poèmes – sont restitués en ligne, mais ne peuvent être trouvés que par le biais du  blog du festival.

Autre projet lancé en 2011,  Now and then est un blog qui devait raconter le passé et le présent de Morley par le texte, le son et l’image, en collaboration avec la population. Le projet était dirigé par la scénariste et dramaturge Emma Adams, qui invitait les habitant_e_s à participer à une documentation sur le quartier de Morley réalisée par leurs propres histoires, mais aussi par leurs propres textes et images. Le projet comprenait des ateliers d’écriture dans le cadre du festival, mais continue de fonctionner comme blog ou archives en cours d’élaboration, auxquelles tous les intéressé_e_s peuvent contribuer. Si le descriptif du projet suggère une collaboration avec différents groupes de population en vue de relater l’histoire de Morley à partir des événements personnels, des parcours de vie et des souvenirs de ses habitant_e_s, le site Internet se borne à documenter une action publique au marché couvert de Morley, durant laquelle l’artiste recueillait les histoires des passant_e_s pour les consigner dans le blog. La possibilité de se pencher sur l’historiographie de Morley et de la récrire en collaboration avec différents groupes de population n’a pas été utilisée. Au lieu de quoi, l’accent a aussi été mis sur un groupe de travail pour les personnes en situation de handicap, «People in Action», qui se retrouvent une fois par semaine dans un centre communal pour se livrer à des activités de loisirs: tricoter, jouer au loto, faire de la musique. Les impressions suscitées par une visite à ce groupe sont documentées dans une petite  vidéo qui, faute de description du projet et d’inscription dans son contexte, ne contient ni remarques de fond concernant le projet, ni indications sur son déroulement. Les personnes montrées dans la vidéo sont interrogées sur leurs activités dans le groupe ainsi qu’à Morley. Les questions que soulève cette démarche concernent aussi le choix de ce groupe et le poids qui lui est donné, d’autant que «People in Action» est un groupe de personnes marginalisé et donc symboliquement significatif pour le milieu de l’art, dont la participation promettait à l’institution – dans ce cas le Festival de littérature de Morley – d’être très utile pour ses propres  stratégies de légitimation. Cette problématique s’accentue du fait qu’il s’agit là de la seule vidéo du projet Now & Then, mis à part une  courte vidéo de l’artiste sur la place du marché. Harris justifie les  omissions attribuées à la représentation du projet Now & Then en arguant qu’il s’agit d’une méthode peu éprouvée. Les conditions et les ressources nécessaires à la mise en œuvre de qualité d’un projet de type participatif comme celui-ci n’étaient pas réunies. De ce fait, le projet ne pouvait pas, du point de vue de la directrice du festival, répondre à certaines attentes comme la rédaction de textes de concert entre les habitant_e_s et les auteurs_trices. Ce constat montre qu’une documentation réflexive, qui décrirait également l’échec du projet et le présenterait plutôt comme une expéri­mentation, aurait été adaptée au déroulement de ce projet. Au lieu de quoi, la présentation choisie fait supposer un manque de réflexivité de la part des initiateurs_trices et ne reconnaît pas le potentiel d’apprentissage que recèlent des projets qui aboutissent à un échec. Dans ce cas précis, il aurait donc mieux valu  renoncer à toute forme de présentation du projet: cela aurait également protégé les parties prenantes d’une exposition au regard d’autrui.

Visite chez la groupe «People in Action»

Vidéo de l’artiste Jenny Harris

Omissions

Réflexivité par rapport au travail réalisé: en dépit d’une longue expérience, les deux projets étudiés ne portent pas d’appréciation sur leur évolution respective. Des propos concernant les objectifs atteints, les adaptations de la démarche au fil des ans, les déplacements dans la réalisation ou les éventuels faux-pas permettraient de mener une réflexion sur les stratégies des acteurs au niveau des projets concrets.

Restitution des différents projets: des divergences apparaissent dans les deux festivals, à différents niveaux cités dans la discussion des projets, entre la communication des objectifs des responsables du festival et la restitution des activités ayant déjà eu lieu, qui est peu détaillée. Il s’ensuit qu’il n’est guère possible de se prononcer sur la mise en œuvre des projets et sur leur déroulement, et que l’appréciation de la qualité du projet se concentre sur la démarche de ses initiateurs_trices. Il n’est donc pas possible de dire dans quelle mesure les objectifs visés ont été atteints. Cela est renforcé par le fait que les activités du «Printemps des Poètes» se poursuivent depuis de longues années et se traduit par une omission supplémentaire.

Conceptions de l’éducation et de l’apprentissage: le manque de restitution sur ce qui a été produit jusqu’ici constitue la plus grande lacune en ce qui concerne les conceptions de l’éducation et de l’apprentissage appliquées. On ne peut se fonder ici que sur les descriptions très cryptiques des projets et de leurs objectifs. Au niveau des projets concrets, l’analyse ne pouvait donc porter que sur les conditions de réalisation et les objectifs visés, s’ils étaient décrits.

Conclusions

Malgré la restitution en partie très détaillée des deux festivals, la plus grande lacune qui subsiste reste l’évaluation qualitative de la médiation. Comme le montre le  texte 8.PF, cette dernière est uniquement possible lorsque la structure, les processus et les résultats peuvent être analysés à la lumière des objectifs. Pour ce faire, les initiateurs_trices du projet devraient faire preuve de transparence quant aux objectifs, au déroulement de leur projet et à ses résultats ou mettre en lien le déroulement effectif de leur projet avec les attentes qui ont été formulées à son égard. Les  présentations de projet et les documentations qui répondent à cette exigence sont cependant encore rares en médiation. Cette situation résulte en partie de la pénurie de ressources qui sont mises à disposition pour le travail de médiation. Elle est aussi due aux conflits d’intérêts nourris par la diversité des revendications adressées à la médiation. Ainsi, la documentation a pour objet principal de  légitimer le travail de médiation; de ce fait, elle a tendance à ne parler que des réussites. Si la réflexion et la mise en évidence des échecs, des aspects problématiques ou des difficultés dans le déroulement des projets sont essentielles pour progresser, elles comportent aussi le risque d’entraîner des réductions budgétaires ou de se mettre en contradiction avec les mandants du projet. C’est pourquoi, les présentations de projets faites par ses acteurs sont enclines à suivre les  modes de représentation dominants en médiation, comme le montre clairement la documentation des deux festivals. Elle contribue ainsi, même si ce n’est pas toujours consciemment, à maintenir le statu quo.

Documentation

L’analyse des projets se fonde sur la documentation suivante:

Le Printemps des Poètes, France

Morley Literature Festival, Angleterre

1 Le festival se présente ainsi sur son site Internet: «Morley Literature Festival in Leeds is an annual week-long festival in October celebrating books, reading and writing» → http://www.morleyliteraturefestival.co.uk/about/ [17.11.2012].

2 Voir la bio-bibliographie de Jean-Pierre Siméon sur le site → http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=3 [18.11.2012].

3 On trouve sur le site Internet du ministère de l’Education nationale un document détaillé sur la réforme actuelle de l’école en France: → http://www.refondonslecole.gouv.fr/la-demarche/rapport-de-la-concertation/ [10.11.2012].

4 Refondons l’Ecole de la République, Rapport de la concertation, p.40.

5 Ibid.

6 → http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Developpement-culturel/Education-populaire/Conventions-pluriannuelles-d-objectifs-2012-2014 [10.11.2012].

7 cf. à ce sujet le site de l’Association PPP Suisse: → http://www.ppp-schweiz.ch/fr/, ainsi qu’un document du Crédit Suisse décrivant les potentiels du PPP pour la Suisse: → https://www.credit-suisse.com/ch/unternehmen/kmugrossunternehmen/de/doc/ppp_studie_de.pdf.

8 Voir à ce sujet le site web de l'Association PPP Suisse → http://www.ppp-schweiz.ch/fr [10.11.2012].

9 cf. Sack 2003.

10 Phinn 1999; Phinn 2001.

11 Phinn 2000.

12 Walter Siebel et Harmut Häußermann ont forgé dès 1993 le terme de festivalisation dans leur essai «Festivalisierung der Stadtpolitik». La festivalisation désigne la concentration de ressources (spatiales, temporelles et financières) sur un événement ou un projet. cf. Häußermann, Siebel 1993.

13 cf. Refondons l’Ecole de la République, Rapport de la concertation, p.40; voir réserve de matériaux MCS0108.pdf.

14 cf. à ce sujet une discussion sur la culture en tant que facteur économique dans KM Magazin 54, 04/2011; → http://www.kulturmanagement.net/downloads/magazin/km1104.pdf [15.11.2012] ou, sur l’importance de l’économie créative en Suisse: Weckerle et al 2007; cf. aussi la documentation rassemblée sur la page, → http://www.creativezurich.ch/kwg.php [15.11.2012].

15 Propos tenus lors d’un entretien téléphonique entre Anna Chrusciel et Jenny Harris, directrice du festival, le 11 décembre 2012.

16 Propos de Jenny Harris, 11 décembre 2012.

17 → http://www.printempsdespoetes.com/index.php?rub=2&ssrub=16&page=59, [15.11.2012].

18 On trouve tous les thèmes du «Printemps des Poètes» à la page: → http://www.printempsdespoetes.com/index.php?rub=4&ssrub=23&page=13 [18.11.2012].

19 → http://www.printempsdespoetes.com/index.php?rub=3&ssrub=21&page=75 [17.11.2012].

20 → http://www.printempsdespoetes.com/index.php?rub=4&ssrub=23&page=13 [17.11.2012].

21 → http://www.barbarataylorbradford.co.uk/ [17.11.2012]; http://www.iain-banks.net/ [10.11.2012].

22 Tous les propos de Jenny Harris cités ici ont été tenus lors de l’entretien téléphonique du 11 décembre 2012 avec Anna Chrusciel.

23 cf. → http://www.a-n.co.uk/publications/article/193995 [10.11.2012].

24 Paul Ashton, Amelia Crouch, Clare Charnley, Jess Mitchell et Vikkie Mulford.